Chapitre 2 : L’appel de Tranquillité

 
 
Le vieil homme se tenait dans la cuisine de sa petite demeure et faisait face à la fenêtre. Il nettoyait la vaisselle de son souper en regardant les lueurs orangées du soir descendre doucement sur les Terres Communes. Il adorait le crépuscule et le calme qu’il insufflait au paysage – un plaisir rare depuis quelques temps. Freeport avait connu une croissance importante ces dernières années, et comme beaucoup de gens construisaient leurs maisons dans les environs, la tranquillité s’était faite rare.

Il termina sa vaisselle juste au moment où le soleil disparaissait derrière les collines. Ses os et ses articulations lui firent mal lorsqu’il s’assit près de la cheminée, fermant les yeux et laissant la chaleur l’envahir. Ainsi que ses maîtres de l’Ordre Cendré le lui avaient enseigné il y avait si longtemps, il fit le vide dans son esprit et commença à méditer.

Ses yeux s’ouvrirent lorsqu’il entendit frapper. Ces coups à la porte l’auraient fait sursauter s’ils n’avaient pas eu cette douceur, ce rythme étrange, presque comme un battement de cœur. Il se leva et alla vers le seuil, s’arrêtant un instant afin de se retrouver ses esprits. Même si les Terres Communes étaient beaucoup plus sûres ces temps-ci, cela n’aurait pas été la première fois qu’un brigand essayait de dévaliser un vieil homme apparemment sans défense. Il fit jouer les muscles de sa main et sourit. Oui, la magie était toujours là, bien présente, s’il en avait besoin. Il acquiesça en silence, et ouvrit la porte.

Le vieil homme se figea. Il la reconnut instantanément, bien qu’il ne l’ait jamais vue auparavant. Ce n’était qu’une petite fille, mais elle dégageait une telle lumière et une chaleur si intense qu’elle en occultait le feu dans la cheminée. Une impression de paix émanait d’elle, le touchant au plus profond. Les larmes envahirent ses yeux, et il déglutit péniblement, incapable de prononcer un seul mot.

Elle leva les yeux vers lui et eut un petit sourire. Sa voix était semblable à une mélodie douce.

« Bonjour, disciple. »

Il se rendit compte qu’il tremblait, en dépit de ce sentiment d’appartenance qui emplissait son être tout entier. Il s’agenouilla devant elle, sa voix semblable à un murmure.

« Est-il temps pour moi de partir ? Dois-je passer au-delà du voile et faire de Tranquillité ma dernière demeure ? »

Elle tendit la main et prit la sienne, son sourire l’inondant de chaleur. Elle secoua la tête.

« Non, disciple, l’heure de te reposer n’est pas encore venue. J’ai besoin de toi, maintenant plus que jamais. Lève-toi et marchons ensemble, car je ne dispose que peu de temps ici, et j’ai beaucoup de choses à te dire. »

Il lui obéit instantanément, et la suivit en dehors de la maison. La campagne, autour d’eux, était complètement immobile, brillant d’une lumière quasi- surnaturelle qui permettait au vieil homme de tout voir, de tout percevoir. Il inspira profondément et sentit l’odeur de toutes les fleurs d’un seul coup. Soudain, il se trouva idiot de ressentir un tel émerveillement. Comment pouvait-il douter que c’était grâce à elle ? Elle savait trouver la sérénité qui se cachait dans n’importe quel endroit.

Elle garda sa main dans la sienne tandis qu’ils marchaient. Sa voix était douce mais claire.

« Des temps troublés approchent, disciple. Nous sommes au seuil d’un grand changement, mais je ne sais s’il sera bon ou mauvais. Le futur est voilé, même pour moi. Bientôt, une tourmente s’abattra sur ces terres. Des évènements ont été mis en route et ne peuvent plus être arrêtés, et de sombres choses sont en route. Ma présence en ces lieux ne sera plus, et le tumulte et les armes prendront ma place. »

« Non, maîtresse, cela ne se peut, » supplia-t-il. « Norrath a besoin de votre lumière et de vos conseils. Et moi aussi, j’en ai tellement besoin… »

Elle secoua lentement la tête.

« Ces choses sont déjà écrites, et ne peuvent être changées. C’est pour cela que je suis venue à toi. Il est temps pour toi de réaliser ton destin, et d’aider le monde. Tu dois transmettre mon enseignement, et préparer cette terre aux périls qui la guettent. »

Il tomba à genoux devant elle et baissa la tête.

« Je suis à vos ordres, maîtresse. »

Elle posa les mains sur ses épaules et lui parla d’une voix pleine de bonté et de paix.

« Dans ce cas, lève-toi, disciple, et accepte ton destin. »

Il inspira profondément et se releva. La douleur dans ses articulations était partie, et sa vue semblait être devenue plus perçante. Les rides sur ses mains avaient disparu, et il sentait une force nouvelle jaillir en elles.

« Les voiles de l’age ont disparu. Que ton corps soit de nouveau jeune par ma force, aussi longtemps que tu me serviras. »

Il inclina la tête et parla d’une voix qui semblait différente.

« Merci, maîtresse. Quelle est ma tâche à présent ? »

« Tu sera mon porte-parole sur ces terres, disciple. Tu veilleras sur les préceptes de Tranquillité, et tu enseigneras mes principes quand le monde glissera vers le désespoir. Tu seras ma voix, car je dois à présent garder le silence. »

Il acquiesça.

« Je le ferai avec joie, et ce sera un honneur pour moi, maîtresse. Tout Norrath et le ciel au-dessus connaîtra vos préceptes. »

Elle resta silencieuse quelques moments, les yeux tournés vers la lune de Luclin qui brillait au-dessus d’eux. Son front se plissa légèrement.

« Il n’y a rien d’autre à dire, et le temps nous manque. Marche avec moi, Avatar de Tranquillité, et écoute mes paroles. »

Elle tendit la main et il la prit, marchant avec elle dans le soir calme. Alors que leurs pas les emmenaient toujours plus loin de son ancienne vie, il comprit enfin quelle était sa mission. C’était la fin et le commencement, une mort et une renaissance.

La nuit était calme et tranquille. Elle ne le resterait plus très longtemps.

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